LE TRICOT DE JADIS

 

On entend par tricot la technique qui consiste à utiliser deux aiguilles à tricoter, ou plus (voire une aiguille circulaire, d'apparition récente) et un fil de longueur indéfinie (une pelote de laine) pour confectionner une étoffe faite de mailles entrelacées.

Le tricot islandais traditionnel existe depuis bien longtemps, avant même qu'il n'ait apparu dans aucun des autres pays nordiques.  Les sources les plus anciennes sur le tricot en Islande remontent au dernier quart du seizième siècle, et il semble que les plus anciens échantillons de tricots islandais qui aient subsisté puissent être datés de la même époque.  Parti des bords de la Méditerranée, l'art du tricot a gagné le nord de l'Europe vers la fin du MOYEN-ÂGE.  On le pratiquait en Angleterre au 15ème siècle, et l'on pense que ce sont des marchands anglais, allemands ou hollandais qui l'introduisirent en Islande.

En 1582 et 1583, l'évêque de Hólar, dans le nord de l'Islande, se faisait payer par ses tenanciers partiellement en lainages tricotés (des bas de toute évidence).  Dans la première Bible islandaise, imprimée à Hólar en 1584, dans une traduction faite par, et à l'instigation du même évêque, la robe du Christ, non cousue, est décrite dans Saint-Jean XIX, 23, comme étant tricotée et non tissée comme il était dit dans la première traduction du Nouveau Testament en islandais, imprimée au Danemark en 1540.

Les exemples de tricot islandais qui subsistent, datent pour la plupart des 19ème et 20ème siècles.  On a toutefois exhumé des restes de tricots estimés dater d'au moins trois cents ans, au cours de fouilles archéologiques effectuées dans le sud de l'Islande en 1927.  Il s'agissait de fragments de lainage d'usage indéterminé, à l'exception d'une chaussette et d'une moufle (celle-ci presque intacte).

Il semble que le tricot se soit propagé rapidement en Islande.  Le matériau utilisé était la laine islandaise filée à la main, de couleur naturelle ou teinte.  Une fois le tricotage terminé, la plupart des articles étaient soumis au foulage.  Les hommes tricotaient tout autant que les femmes, et tous étaient censés fournir une certaine quantité de tricots pendant un laps de temps donné.  Il en allait de même pour les enfants à partir de l'âge de huit ans, car on leur apprenait à tricoter dès l'âge le plus tendre.  On produisait une grande variété de vêtements pour l'usage local, mais les bas, les moufles, et plus tard les pull-overs aussi, devinrent des articles d'exportation d'une grande importance.

Dès 1624, selon le bordereau d'exportation le plus ancien à mentionner des tricots, on exportait quelques soixante douze mille paires de bas et plus de douze mille paires de moufles; et en 1743, quand les pull-overs sont apparus sur les bordereaux, leur nombre dépassait mille deux cents, les bas s'élevaient à plus de deux cent mille paires et les moufles à plus de cent dix mille paires.  Le chiffre le plus élevé pour l'exportation des pull-overs en une année dépassait huit mille en 1849, celui des bas dépassait deux cent cinquante mille paires en 1764, et celui des moufles deux cent quatre-vingt mille paires en 1806.

Les lainages tricotés pour les besoins locaux durant ces siècles et jusqu'au 20ème, variant quelque peu selon la mode et les coutumes du temps, comprenaient des bas, des chaussettes, des semelles intérieures, des moufles, des gants, des manchettes, des foulards, des chandails (gilets) et des bonnets pour les deux sexes, ainsi que des culottes et pantalons pour hommes, des vestes sans manches et des bretelles, et des châles pour les femmes (outre des sous-vêtements pour les deux sexes:  caleçons et gilets de corps pour les hommes, jupons et culottes pour les femmes).  On tricotait également des bourses et des taies d'oreiller, et même des tentes.  On connaît l'existence de ceintures tricotées et d'une bourse d'usage ecclésiastique, mais il est impossible de déterminer si ces objets sont de confection locale, ou s'ils ont été importés.

Avant l'installation des filatures de laine en Islande vers la fin du 19ème siècle, on entendait par "lopi" la laine qui avait été peignée ou cardée, puis étirée en une mèche lâche, assez épaisse et non tordue, ce qui constituait la préparation jugée nécessaire pour le filage de la laine au fuseau et à la quenouille.  À ce que l'on sache, le "lopi" préparé à la main n'était jamais tricoté directement.  Il s'agissait d'une étape préparatoire au filage de laine.

Mais à l'avènement des filatures de laine, le mot "lopi" en est venu à désigner également les mèches non tordues formées par les fibres de la laine, c'est-à-dire la laine au stade intermédiaire entre le cardage et le filage.  Au début de l'époque des filatures en Islande, le "lopi" était soit filé dans les fabriques, soit parfois renvoyé aux fermiers qui avaient fait préparer la laine pour leur propre usage, et qui la filaient chez eux sur des rouets ou sur de petites machines à filer appartenant à des sociétés ou à certaines communautés.

Au cours des premières décennies de ce siècle, les machines à tricoter domestiques s'étaient multipliées en Islande, surtout dans les zones rurales, tandis que le tricot à la main diminuait.  Ce fut en 1920 ou 1922 que la propriétaire d'une de ces machines essaya et réussit à tricoter mécaniquement un foulard pour son mari, directement à partir d'une "galette" de lopi, sans prendre le temps ni la peine de filer la laine au préalable.  Elle relata les expériences qu'elle avait faites pour tricoter ainsi divers articles vestimentaires, dans un bulletin annuel de grande diffusion consacré aux travaux manuels.  L'idée germa, et cette pratique se répandit rapidement.

Ce ne fut pourtant qu'une dizaine d'années plus tard que l'on se mit à tricoter le "lopi" à la main, de la même façon que les laines tordues.  Il faut noter qu'à ce moment, le tricot était devenu un travail de femmes, ainsi qu'un passe-temps occasionnel.  Tout d'abord on utilisa le "lopi" avec un brin de laine filée pour le renforcer, mais le plus souvent, dans le tricot à la main, on utilisait deux ou trois mèches de "lopi" ensemble après en avoir fait une triple pelote, afin de donner au "lopi" une légère torsion.  Actuellement, on fait subir au "lopi" une légère torsion au cours de la mise en écheveaux.

Pendant et après la seconde guerre mondiale, le tricotage à la main de pull-overs en "lopi", souvent inspirés de motifs scandinaves traditionnels, devint très populaire, surtout pour les articles de sport.  À la fin des années cinquante, on adopta les modèles chic des pulls à empiècement rond en jacquard, venus de l'étranger (de Scandinavie notamment) en les adaptant à la technique du tricotage du "lopi".  Ces pull-overs ont constitué depuis, et jusqu'à ce jour, le fleuron du tricot islandais en "lopi".

Les pull-overs en "lopi" produits pour la vente sur place ou à l'étranger, sont presque toujours tricotés dans les couleurs naturelles des moutons islandais:  blanc, gris, brun (couleur "terre" ou brun naturel) et brun foncé ("noir mouton" ou noir naturel).  Le "lopi" de couleur existe aussi sur le marché, mais n'est guère utilisé que par la clientèle privée.  Les motifs des pull-overs en "lopi", c'est-à-dire les bandes en jacquard, sont de diverses provenances.  Certains ont été copiés ou inspirés de motifs islandais traditionnels, tirés d'anciens recueils manuscrits d'instruction de tricotage, ou de broderies.  Certains sont l'adaptation de motifs étrangers destinés à différentes applications textiles.  Mais la plupart des motifs employés actuellement ont été élaborés spécialement pour le tricot de pull-overs en "lopi", et bien souvent par les tricoteurs et tricoteuses eux-mêmes.

"lopi" signifie "pure laine vierge" ou "pure new wool".

 

 

Les tricots de Louise
Louise Perron :  Maître WEB
Publié le 4 août 2000